Instruments, dimensions et rôles dans le jazz
Les instruments musicaux ont tous des caractéristiques acoustiques particulières qui dictent plus ou moins les rôles qu’ils peuvent incarner dans le jazz. Entre accès à des différentes dimensions musicales, timbre et sonorité, et des aléas de l’histoire, leur protagonisme dans cette musique se dessine en fonction d’un conjoncture de éléments déterminants.
Un groupe de jazz est un écosystème d’éléments se relayant le protagonisme des idées qui émergent de son substrat. L’improvisation se trouve bien au centre de ce schéma et la musique qu’en jaillit est le résultat d’une conjugaison intime, libre, et spontanée des éléments du système. Différents instruments jouent différents rôles en fonction de leurs caractéristiques acoustiques. Certains instruments tels que le piano ou la guitare ont une polyvalence inhérente capable de s’exprimer sur les trois éléments constitutifs de la musique : le rythme, l’harmonie, et la mélodie. D’autres sont limités à seulement un ou deux de ces éléments : il y a par exemple la batterie qui appartient exclusivement au rythme ou encore les instruments à vent et les cuivres comme la trompette ou le saxophone, qui habitent presque exclusivement dans la dimension de la mélodie.
Ainsi, quoiqu’ils consacrent du temps à étudier les trois éléments constitutifs de la musique, dans le développement de leurs compétences les musiciens se focalisent sur ces éléments auxquels leur instrument en a accès. Par exemple, bien qu’il s’investisse dans l’étude de l’harmonie pour avoir une compréhension plus englobante de comment celle-ci s’exprime sur un morceau, un saxophoniste se focalise sur le rythme et notamment sur la mélodie, principalement parce que son instrument est monophonique ; il est impossible de jouer des accordes et donc de produire de l’harmonie avec un instrument qui ne peut émettre qu’une seule note à la fois, quoiqu’il soit possible de tracer les contours d’un mouvement harmonique avec des lignes de mélodie.
Dimensions musicales
Dans une certaine mesure le nombre de dimensions musicales auxquelles l’instrument peut accéder dicte la quantité de rôles qu’il peut incarner dans le morceau. La guitare ou le piano, étant des instruments polyphoniques, ont une plus grande versatilité, et peuvent continuer à jouer tout au long du morceau, soit en improvisant (dimension mélodique) soit en faisant office de support pour les autres instruments (dimension harmonique). En revanche, des instruments de percussion tels que la batterie, ou encore les timbales, congas et d’autres dans le cadre du latin jazz, quoique fondamentaux pour maintenir la cadence du groupe tout au long du morceau, ont généralement un rôle plus restreint, qui ne se remarque trop tout en étant constant, et qui arrive à son point culminant sous un contexte spécial dans lequel les autres instruments arrêtent de jouer pour leur donner accès au devant de la scène pendant leur solo ; sans quoi l’improvisation d’un percussionniste deviendrait une cacophonie.
Néanmoins ce qui est intéressant c’est qu’avoir accès à plus de dimensions musicales n’implique pas forcement davantage de protagonisme. Il y des instruments, tels que la basse, avec un accès limité à au moins une des dimensions musicales qui peuvent quand même assumer le devant de la scène et être le centre musical d’un groupe quelconque. Mais un exemple encore plus saillant d’instruments avec ce type de dynamique c’est celui des cuivres.
Les cuivres, acteurs indispensables
Les cuivres jouent globalement un rôle de protagoniste indéniablement notoire dans le jazz. Leurs caractéristiques acoustiques, très adaptées à porter loin les sons mélodiques, sont la raison principale de cette prépondérance, mais pas la seule. Outre leur portée et leur puissance, leur rôle dans l’histoire de l’évolution du jazz dans les quartiers de la Nouvelle Orléans au début du 20eme siècle, notamment avec les formations orchestrales de l’époque appelées brass bands (ensemble de cuivres) furent des facteurs importants dans cette ascension. Il y a certainement aussi dans tout ça la notoriété des certains des premières stars du jazz comme Louis Armstrong qui ont popularisée ce genre d’instrument auprès du public et inspiré d’autres musiciens à les suivre. Ce n’est pas par hasard que quand les gens pensent au jazz les instruments qu’on y associe ou qui leur viennent à l’esprit sont très souvent des cuivres comme la trompette et le sax. Pourtant, le rôle d’un instrument à cuivre dans un morceau de jazz s’achève souvent avec la fin de son improvisation. Pendant le reste du morceau, lorsque les autres instruments improvisent, il reste muet, statique, revenant souvent seulement à la fin pour reprendre la mélodie principale, ou ajoutant des motifs mélodiques dans des contextes où il faut suivre un arrangement musical.
En réalité, n’importe quel instrument peut devenir le protagoniste principal dans l’écosystème du jazz, mais ça dépend beaucoup des musiciens et notamment du degré virtuosité de ceux-ci, qu’il faut bien évidemment mettre en exergue. Il y a par exemple l’harmoniciste belge Toots Thielemans ou encore le notoire vibraphoniste américain Gary Burton. Ce sont des musiciens qui jouent des instruments peu conventionnels pour ce genre de musique mais qui ont quand même eu des carrières á succès comme leaders de leurs formations. Ce qui dicte en fin de compte le plus le degré de protagonisme d’un instrument ce sont les capacités d’expressivité musicale et l’empreint esthétique du musicien qui l’utilise comme un moyen pour transmettre ses idées et ses émotions à son public.
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