Et la Terre…pourquoi n’a-t-elle pas des droits?
Vu l’état de dégradation de l’environnement partout dans le monde et le fait que l’on est devenue désormais, en tant que civilisation globale, une vraie menace pour le vivant sur cette planète, le temps est venu de considérer avec beaucoup plus de sérieux la possibilité d’établir des droits pour la planète Terre…
Quoique pas péremptoirement prouvé, il me semble vraisemblable que peu de temps après qu’il a eu conscience de soi même l’être humain préhistorique s’est aperçu qu’étant donné la puissance impitoyable de la nature et la difficulté de la survie, qui lui mettaient dans une convivialité rapprochée avec la mort, il fallait trouver un abri symbolique qui lui protège de ces forces maîtres de son monde. Les premières versions des cosmologies spirituelles et proto religions représentent peut-être ces premiers refuges idéologiques. Mais les humains préhistoriques se sont sans doute aussi aperçus qu’il fallait que ces abris symboliques leur protègent surtout d’une autre force encore plus féroce et manifestement plus redoutable : lui-même. Des notions s’apparentant à ce qu’on appelle de nos jours des droits naturels existaient très probablement déjà dans la préhistoire; on peut s’imaginer par exemple des humains il y a des dizaines de milliers d’années qui entretenaient des idées semblables au droit à la vie ou droit à la terre, qui vivaient comme une injustice le fait qu’une bande rivale puisse leur tuer ou leur refouler d’une certain territoire.
Un fil rouge dans l’histoire
Or les premiers principes éthiques ou décrets que l’on peut reconnaître comme de véritables « droits » ne sont apparus qu’avec l’essor de la civilisation. Suivant la conquête de la Babylone par les Perses au VIe siècle avant J.C., dans un document enregistré en langue akkadienne sur un cylindre d’argile, le roi perse Cyrus Le Grand donne la liberté aux esclaves, et établit la liberté de culte et l’égalité raciale.
Dans les siècles suivants de l’antiquité des idées semblables sont davantage élaborées par les grecs et par les romains et à partir du moyen âge débouchent en des documents, chartes et déclarations établissant plus concrètement des listes des revendications qui sont devenus des piliers même de la civilisation occidentale et parmi lesquels on peut citer la Magna Carta (1215), la Pétition de droit (1628), la Constitution des États-Unis (1787), et la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen en France (1789) entre autres.
Or tous ces documents ont une chose en commun, une espèce de fil rouge qui leur relie tous et qui se trouve au centre des réflexions qui ont poussé à leur rédaction ; protéger l’homme de l’homme, donner à l’homme un refuge théorique auquel il pourrait avoir recours pour se prémunir contre les dangers physiques qu’il pose, les iniquités face au pouvoir qu’il exerce, et les méfaits des autres. Ces protections sont, avec les lois, absolument incontournables pour la vie en société que l’on connaît.
Un être dangereux
Mais si dans un premier temps c’était la vulnérabilité face au danger qu’il pose à soi-même qui a poussée l’homme à s’en doter d’une liste croissante de droits, l’humain n’a jamais été le seul à subir du mal qu’il pouvait représenter. Tout au long de l’histoire d’autres créatures sentientes, d’autres êtres avec lesquels on partage l’espace planétaire ont souffert et subi des supplices que leur infligeât l’homme et il a fallu que ces êtres bénéficient aussi d’une protection symbolique aussi élaborée et défensive, d’autant plus que ces autres créatures, contrairement à l’être humain, souffrent et subissent les calvaires qu’il leur inflige sans pour autant être capables de se défendre. Ces droits existent dans un nombre de pays, ce sont les droits des animaux, mais leur étendue et leur degré d’adaptabilité reste très faible comparé à la copieuse liste de privilèges des humains.
Aujourd’hui nos activités à grand échelle sur toute la planète mettent de plus en plus en danger la survie d’un nombre grandissante d’espèces d’animaux ou sont la source d’une souffrance inouïe pour des milliards d’autres de ces malheureux êtres. Or le fait même que l’on entretienne des idées comme les droits des animaux démontre que, malgré notre épouvantable historique vis à vis d’autres espèces, on se soucie quelque part du vivant, que l’on est conscient et inquiet des conséquences de ce que l’on puisse infliger au vivant et que l’on réfléchit à des manières de pallier ces souffrances. D’une certaine manière donc, de la même façon que l’on reconnaît, en élaborant des listes des droits humains que l’humain a besoin de protection de lui-même, on reconnaît également en dressant des listes de droits pour les animaux que ces derniers ont aussi besoin de protection vis à vis l’humain. On concède donc ne serait-ce que de façon tacite que l’on est dangereux, que l’on représente une vraie menace pour la survie d’autres êtres et surtout, vu l’état et la direction que prennent nos relations internationales et notre insouciance générale face aux impacts du changement climatique, pour notre propre survie.
Le vivant a donc besoin de protection contre l’une des forces les plus destructrices que cette planète n’ait jamais connue : nous. Oui il ne faut pas mâcher ses mots. C’est nous comme espèce qui sommes responsables pour les altérations environnementales et leurs conséquences qui mettent désormais en danger le vivant. Les dégâts provoquées par l’activité humaine restaient très limites dès l’apparition de celui-ci il y a quelques centaines de milliers d’années jusqu’à l’avènement de la révolution industrielle, période où ces dégâts augmentent vertigineusement et déclenchent une chaîne d’événements qui risque aujourd’hui de balayer et détruire, en question de seulement quelques décennies, tout ce qui a pris la terre des centaines de millions d’années à développer et qui menacent maintenant l’ensemble du vivant. Maintenant c’est la terre et ses diverses systèmes, biomes, ressources, et espèces, si précieux dans leur constitution et leur complexité et qui attestent de l’incroyable histoire naturelle de cette planète qui se trouvent menacées par l’activité de l’homme.
Se poser des questions…
On peut donc se poser la question de façon sérieuse, la Terre n’a-t-elle aussi droit à une protection contre les dangers qui la menacent ? N’a-t-elle besoin de droits pour la protéger d’un être qui reste quand même l’un de ses fruits les plus extraordinaires mais qui aujourd’hui la parasite de façon effrontée et effrénée ? Car il s’agit du vivant. La terre n’est-elle, comme productrice, comme havre, comme substrat de vie, pas vivante? C’est ça l’une des difficultés dans le fond; nous avons un regard problématique sur la Terre dans la mesure où nous la considérons à tort plutôt comme un espèce de bien, une ressource à être possédée, vendue, utilisée, et dégradée sans forcement être renouvelée. Il y a, en dépit de tout cela, des signes encourageants. Des initiatives comme la Déclaration universelle des droits de la Terre Mère proclamée en 2010 à l’occasion de la Conférence mondiale des peuples contre les changements climatiques sont un bon début et font preuve d’une volonté d’agir dans la bonne direction de la part de certains, pourtant l’effort et le niveau de conscience requis de la part des individus et des sociétés pour qu’il y ait un changement conséquent de la situation restent beaucoup trop modestes. On a dressé des listes de droits pour protéger l’humain et les animaux (ceux qui nous apportent des bénéfices économiques notamment), de temps en temps on rajoute des droits à nos préambules, à nos chartes, à nos constitutions et pourtant, la Terre, l’abri, matrice et créatrice, de tout ce qui ait jamais « vécu » ne possède ni un seul de ces privilèges que s’octroient les hommes et ça au moment même de l’histoire où l’humanité lui pose le plus de danger.
Le temps est venu je crois de considérer avec beaucoup plus de sérieux la possibilité d’établir des droits, voire des protections juridiques reconnues internationalement pour protéger la planète du péril qui la guette. Est-ce que ça changera quoi que soit? Peut être pas, étant donnée que malgré l’existence des droits de l’homme ces droits sont carrément bafoués un peu partout dans le monde. Mais il faut avouer aussi que l’histoire aurait peut-être pris un autre tournant sans eux et que leur conception a servi comme un important garde-fous contre des exactions qu’ils ont plausiblement et heureusement réussi à empêcher.
Oui, c’est peut-être fustigeant de lire tout ça et comme membre d’une société industrialisée, je me sens spécialement visé par mes propres propos. Mais réfléchissez un peu à l’impact que l’on a et que l’on continuera d’avoir comme civilisation globale sur cette planète et sur l’ensemble du vivant, réfléchissez surtout à « l’effort », au temps que la terre a passé à développer sa biodiversité, à peaufiner l’équilibre de ses divers écosystèmes, et demandez-vous si c’est juste que l’on vienne (pardonne l’expression) foutre le bordel sur tout cela juste pour nous donner des plaisirs éphémères liés à un style de vie guidé par la consommation en permanence. La terre a élaborée des choses que l’on ne peut que rêver d’élaborer nous mêmes. Donnons donc un peu de respect à cet abri du vivant, le seul que l’on connaît dans tout l’univers pour l’instant, et donnons-le au moins le droit d’être regardée comme quelque chose de plus qu’un puits de ressources…Ce puits a sans doute un fond et on s’y précipite à vitesse grande V.
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