Les IA arrivent-elles vraiment à créer ?

Article : Les IA arrivent-elles vraiment à créer ?
Crédit: Cameron Butler, CC BY-SA 4.0
12 septembre 2024

Les IA arrivent-elles vraiment à créer ?

On entend de plus en plus parler des créations artistiques de l’intelligence artificielle et son utilisation devient plus accentuée dans les domaines de création artistique. Peut-on parler d’art lorsqu’il s’agit d’algorithme ?

© La Jeune fille à la perle, Julian van Dieken / Image réalisée à l’aide de MidJourney et Photoshop

L’art devient peu à peu l’apanage de l’intelligence artificielle. En tout cas, c’est ce qu’on entend de certains enthousiastes de ces technologies ; eux aussi, disent-ils en parlant des algorithmes, arrivent à créer de l’esthétique. Mais s’agit-il d’un vrai processus de création ? L’algorithme ne fait-il que suivre des instructions préalablement programmées ? Car l’essence de la création selon moi, et je crois humblement que d’autres seront d’accord avec moi sur ce point, c’est l’expression. L’expression d’un sentiment, d’une émotion, d’une notion, d’une idée qui suscite une autre, d’une réflexion qui fait rêver, qui fait débat, qui fait polémique. Il y a de l’intention dans la création, c’en est une qualité intrinsèque. Même si on se dit qu’une œuvre d’art est nulle esthétiquement parlant, l’artiste a toujours eu une intention qui l’a poussé et qui l’a motivé dans sa création. Créer avec le seul but de créer revient toujours à quelque chose lié à l’intention, l’intention de concevoir. La question qu’on peut se poser serait de savoir d’où vient donc cette intention et en quoi diffère-t-elle de ce que font les intelligences artificielles. 

Ni conscience ni de l’expérience

L’intention serait, à mon sens, le fruit de la conscience et de l’expérience. Plus on a conscience de quelque chose, et plus on subit et on stocke des choses à travers l’expérience, plus on accumule le potentiel pour l’intention de la création. Notre intention serait alors comme une espèce de réponse, de répercussion, une manière de réagir et d’interagir avec la réalité qu’incite à l’expression et donc à la création.

Les intelligences artificielles sont capables de produire des tableaux prodigieux, des images insolites et éblouissantes, de la musique qui côtoie la qualité d’un Bach, bref de choses qu’esthétiquement sont d’une qualité stratosphérique. Pourtant, ce ne sont pas des créations car il n’y a dans les algorithmes ni de la conscience ni de l’expérience qui pourraient susciter une intention de créer. Tout a été programmé en amont et l’intelligence artificielle ne fait qu’exécuter les instructions. L’art, c’est le mariage entre l’esthétique et l’intention, entre les compétences que l’artiste a, capables de transmettre la notion de beauté, et sa capacité à transmettre aussi son expérience, d’imprimer un petit bout de sa vie et de sa perspective du monde dans son œuvre. Les algorithmes n’en sont guère capables.

Théâtre d’opéra spatial, tableau polémique pour avoir remporté le premier prix d’un concours d’art. Crédit : Jason M. Allen / Midjourney / Wikimedia Commons

L’intelligence artificielle peut faire preuve d’un certain degré de créativité en trouvant des manières plus efficaces d’accomplir certaines tâches, mais c’est très rudimentaire et en plus cet apprentissage est, lui aussi, programmé. L’apprentissage de l’IA implique l’entraînement efficace et rapide de l’algorithme et se fait avec l’utilisation d’une gigantesque quantité de données qu’aucun être humain ne serait capable de trier et d’assimiler au cours d’une vie entière. C’est grâce à cette énorme base de données que l’IA peut observer, lire, repérer des motifs, apprendre, et développer des compétences de création comme dessiner, faire de la composition musicale, et rédiger un texte par exemple.

Ne manque-t-il quelque chose ?

On peut être ému par ces productions, on peut apprécier leurs qualités esthétiques et peut-être même ressentir des émotions qui retentissent avec quelque chose à l’intérieur de nous, suscitées par ces « créations ». Mais ne manque-t-il quelque chose ? N’y a-t-il pas un certain creux ? Il semble y avoir comme un côté stérile, quelque chose de vide dans ces productions qui a sûrement à voir avec le fait qu’on est conscient qu’elles ont été générées d’une façon complètement artificielle, qu’il n’y a pas eu de réflexion derrière, pas de sentiment, de souvenir, d’émotion fonctionnant comme moteur pour la main qui tient le pinceau ou pour les doigts qui glissent sur le piano.

En plus il y a comme une limitation temporelle aux productions de l’IA qui n’est pas caractéristique des créations humaines car toutes les « idées », toutes les créations de l’IA viennent essentiellement du passé puisque l’algorithme ne peut produire des choses qu’à partir des documents de sa base de données, qui sont des œuvres déjà existantes. D’une certaine manière, l’IA ne fait que régurgiter le passé. Il n’y a pas de plongée dans cette étendue atemporelle qui est l’imagination réfléchie, pas de projection dans un espace mental de possibilités inexplorées, pas soumises aux limites de la réalité, pas de projection dans l’avenir, d’anticipation de la réaction de son public. Toutes ces choses-là passent par la tête des artistes, et il faut les valoriser car toutes ces choses, qui ne sont peut-être pas évidentes dans la version finale d’une œuvre d’art produite par un humain, sont indispensables au processus de création.

Imitation d’une oeuvre de Salvador Dali, générée par Mathieu Laca avec Stable Diffusion.

Certains pointeront le fait que l’intelligence artificielle est nourrie par l’expérience collective de nous tous, sous forme de données que nous lui fournissons, et que l’IA a de l’expérience de laquelle puiser pour produire des créations. Mais quid de la conscience ? Si celle-ci constitue un élément fondamental de l’intention et conséquemment de la création, elle est complètement absente dans les algorithmes. La conscience est un état difficile à expliquer, fruit des diverses interactions entre notre cerveau, système nerveux, nos sens, notre câblage interne. Cette cohorte d’interactions se mélange, se concrétise et devient un tout (ou en tout cas nous en avons l’illusion que c’est un tout) et donne lieu à ce qui est peut-être la caractéristique la plus marquante de la conscience humaine, la conscience de soi-même. Je pense donc je suis. Les systèmes d’intelligence artificielle d’aujourd’hui ne se rapprochent ni de près à la conscience et il me semble qu’il faudra encore longtemps jusqu’à ce que cela advienne. Ce n’est pas une question de « si », mais de « quand ». En attendant, il n’est pas juste ou raisonnable de dire que ces assemblages de sous-systèmes fonctionnant à base d’algorithmes qu’on appelle des intelligences artificielles puissent vraiment créer quoi que ce soit. Jusqu’au moment fatidique où elles deviendront conscientes de leur propre existence.

Banaliser la créativité des humains

Alors pourquoi est-ce que c’est important ? À quoi bon faire la différence entre les créations de l’IA et celles des humains et parler des capacités ou non que les premiers auraient de créer de l’art ? Au-delà des questions toujours floues d’authenticité, de droits d’auteur, et de propriété intellectuelle, la question pourrait s’avérer très importante dans un avenir proche. Accepter ces productions comme des véritables créations revient à dévaloriser la créativité, l’inventivité et la spontanéité des humains. Les entreprises de production artistique ou de communication, remplaceront leurs artistes et leurs écrivains par des intelligences artificielles plus productives et moins coûteuses. Cela risque de rendre plus palpable la précarité qui a toujours accompagné les métiers de l’art, obligeant beaucoup d’artistes à trouver d’autres métiers dans d’autres domaines. Valorise-t-on suffisamment l’originalité de l’humain pour ne pas le retirer de la chaîne de création et le remplacer par un algorithme ?

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